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« J’aperçois au loin dans un nuage de poussière sablonneuse, le pick up qui trace la route. Comme chaque jour, Gerrie vient nous chercher pour attaquer cette nouvelle journée de récolte, ou plutôt quelques heures pour éviter les heures les plus chaudes de l’été australe, jusqu’à 45 degrés au plus fort de la journée.

Je saute à l’arrière du pick up, salue Martiens et m’assois sur les sacs vides, et le pick up a déjà repris la route.

Mon regard se perd sur ces étendues vertes, ici c’est la terre de mes ancêtres San qui utilisaient le rooibos pour ses vertus médicinales et la douceur de sa boisson colorée.

Notre communauté a toujours bu l’infusion de rooibos, à tout âge grâce à ses bienfaits et son gout de vanille légèrement sucré.

Mais l’apartheid ne nous permettait pas d’en vivre décemment, un travail d’ouvrier souvent rémunéré en alcool, pas de quoi nourrir sa famille et construire une maison en dur. Heureusement, la fin de l’apartheid nous a donné l’accès à la terre qui nous était interdite, et le groupement des fermiers permet de vivre de nos récoltes et d’aider la communauté. Aujourd’hui, nous allons sur les terres de Hans, à quelques kilomètres d’ici, les fermes sont tellement espacées que sans voiture, le travail est limité.

Un Springbok (antilope) traverse la route devant nos roues, pour rien au monde je voudrais quitter cette terre et ses champs de rooibos à perte de vue, jusqu’au pied de la montagne de Cederberg.

Une vingtaine de minutes et 2 arrêts plus tard, le pick up se gare définitivement en bord de route où nous attendent déjà des ouvriers de Hans, issus de l’est du pays, ils ne parlent pas l’afrikaans, ni l’anglais mais Hans leur paye des cours d’afrikaans pour pouvoir échanger avec les fermiers et installe des antennes réseau pour contacter leur famille.

Chacun saisit un sac et de la ficelle orange, le sac, c’est pour ne pas poser le rooibos dans le sable, le garder propre. Je m’engage dans une rangée de rooibos que le vent fait osciller de gauche à droite, ma faucille autour du cou, pas besoin de beaucoup d’outils pour la récolte.

Les pieds de rooibos ne sont pas à hauteur d’homme et pour saisir une poignée de ces petites branches vertes, je dois un peu me pencher. D’un coup sec de faucille vers moi, je coupe le rooibos. Le geste se répète jusqu’ à ce que ma main gauche ne puisse plus abriter ma récolte que je pose successivement sur le sac afin d’en faire un beau fagot.

Je prends soin de ne couper que le rooibos, car il ne doit contenir aucune mauvaise herbe.

Ici on désherbe les pieds de rooibos avant la récolte mais en agriculture bio, il y a peu de mauvaises herbes et ce sol pauvre en nutriment suffit malgré tout au développement du rooibos.

On le récolte après la floraison entre fin janvier et mi avril aussi je dois aiguiser régulièrement ma faucille pour mieux me préserver, et racler inlassablement les côtés avec un couteau pour enlever la résine qui s’y accumule tout le temps.

Une voix s’élève rompant le calme absolu, Gerrie nous invite à faire la pause. Une tasse de rooibos froid, c’est comme ça que je le préfère, et je me laisse glisser de tout mon poids à l’ombre du pick up.

Dans quelques heures, Gerrie retournera à la ferme, décharger le pick up chargé des fagots sur lesquels nous aurons posé notre dos fatigué.

D’autres chargeront les branches dans une broyeuse, étaleront et écraseront les brindilles dans la « tea court » sous le poids d’un tracteur avant de les asperger d’eau pour commencer la fermentation qui donne sa belle couleur rouge brique au rooibos.

Et le soleil fera sa part, comme pour des générations de Khoi et San qui ont perpétué la culture du « buisson rouge » endémique, et qui en récoltent aujourd’hui enfin les fruits. »

Émmanuelle B.

 
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